Notes géographiques, historiques et statistiques sur la commune de Bouée par Mr FRASLIN

Source

"Le Glaneur Savenaisien"

1886 et 1887

 

 

 

 

   Le 23 Pluviose an IV (15 Février 1796), des gens masqués, vers neuf heures et demie du soir, se présentèrent chez  un sieur Maugendre Pierre, taillandier à la Bazillais. Sa femme voulut leur faire croire qu'il était absent. Ils insistèrent, le trouvèrent dans son lit et le forcèrent à les suivre. Arrivé près d'un four qui existe toujours dans ce village, Maugendre Pierre, fut tué d'un coup de feu à la tempe. Le pistolet, instrument du crime, fortement bourré, fut rejeté par le mouvement de recul hors des mains du meurtrier, et, chose horrible à citer, la femme de la victime contrainte à éclairer avec une lanterne pour trouver l'arme, assista, sans pouvoir appeler au secours, à la consommation du crime. La tête de son mari avait été partagée par l'effet de la balle.

   La population était encore sous le coup de l'émotion causée par cet assassinat qu'un deuxiéme eut lieu le 25 Mars 1796. Le sieur Pichot L'Amabilais, qui avait été receveur des contributions à Bouée, plus tard administrateur du district de Savenay, fut massacré dans les circonstances suivantes:

   Des individus vinrent le sommer de les accompagner. Pichot L'Amabilais avait un fusil en sa possession; il se défendit et tua l'un des brigands. Il réussit à sortir par une porte et se rendait à travers la gagnerie, à un bateau situé en Loire et destiné à donner refuge aux patriotes lorsqu'il fut atteint et tué. (1)

 Les auteurs des actes inouis ci-dessus ne furent jamais découverts. Pour le dernier, la justice suivit, aux taches de sang, la piste des brigands jusqu'à l'entrée du bois de la Möere où elle perdit toute trace. (2)

   Les deux crimes ci-dessus eurent, à ne pas en douter, pour mobiles, peut-être une vengeance personnelle, mais surtout des dissentiments d'opinions. Ce furent de véritables assassinats politiques. Ceci a toujours été la croyance de ceux qui connaissent les faits.

  Ce qui est raconté plus loin paraît donner quelques poids à l'affirmation que les assassinats sus-mentionnés ont été des crimes politiques:

  Le cadavre de l'individu tué par la victime Pichot fut chargé sur une jument appartenant à M. Berranger Guillaume, grand-père, par sa femme, de M. l'adjoint au Maire actuel de Bouée.

  L'animal que son propriétaire croyait à tout jamais perdu revint le lendemain, relâché, a ne pas en douter, par ceux qui s'en étaient servi.

  La promptitude avec laquelle le crime fut perpétré et les moyens pris pour échapper à la justice par les assassins, dénote chez eux une connaissance parfaite des lieux, des personnes et une action concertée longtemps avant. Des meurtriers ordinaires procèdent d'une façon toute autre, et avec plus de mystère et de sans-gêne.

  Quels qu'en soient les motifs, des actes de ce genre doivent répugner à tous les honnêtes gens.(3)

   L'intervalle qui s'étend de 1796 à nos jours fut peu remarquables sous le rapport des faits curieux. L'administration s'occupa néanmoins d'améliorations. L'instruction primaire fut créée à la suite de l'impulsion donnée par la loi de 1833.

   Les chemins furent entrepris et permirent l'échange facile des produits du sol.

  Un presbytère fut créé, ainsi qu'une mairie et deux écoles; l'une (celle des garçons) communale, l'autre (celle des filles) libre.

 La richesse publique d'abord peu considérable s'accrut rapidement, grace à la création, par les habitants, des syndicats pour le dessèchement des marais qui répandaient un air méphitique cause de nombreuses maladies. Le pays devint plus sain et plus riche.

  Néanmoins il est bon de remarquer que le 12 Mars 1848 le conseil municipal par la déclaration suivante donna son adhésion au gouvernement républicain:

   "Le Conseil municipal de la commune de Bouée réuni ce jour sous la présidence du Maire, déclare donner son adhésion au gouvernement républicain, en lui offrant son plein et entier concours."

   Ont signé: P. Viaud, Begnaud, J. Chevalier, G. Berranger, Rebondin, Jean David, P.Tessier, P.Abraham, L. Chevalier, G. Seignard, Oger.

   Si le Conseil se soumit au gouvernement de 48, il ne fut pas difficile de lui faire changer d'idole. Lorsque Louis Napoléon Bonaparte eut, le 2 Décembre 1851, renversé le gouvernement dont il avait juré d'être le défenseur, le Conseil de Bouée lui envoya complaisamment ses congratulations. Depuis cette époque, jamais l'opinion publique ne s'est manifestée par cette voix.

    En 1870, après les malheurs de la guerre, une souscription faite en faveur des Alsaciens-Lorrains atteint un chiffre respectable.

   La somme obtenue prouve le patriotisme des habitants qui doivent être félicités.

 

(1) Ce bateau resta longtemps en vue des côtes de Bouée. Les habitants l'appelait Corsaire, et allaient souvent s'y réfugier la nuit, dans la crainte d'une surprise, car ils étaient la plupart sans défense. Ils y portaient des vivres quelquefois pour plusieurs jours.

(2) La disparition d'un nommé Berranger de la Mainguais en Savenay eut lieu à la même époque, sans qu'on n'ait jamais pu connaître où il était passé. L'opinion publique a toujours pensé que ce fut l'homme tué par Pichot l'Amabilais.

(3) On accusait Maugendre Pierre davoir aidé la police à saisir Lécuyer François. Mais cette accusation ne paraît pas fondée, puisque Lécuyer, à la nouvelle de l'arrivée des Vendéens et apercevant où croyant apercevoir un drapeau blanc sur les tours de Paimboeuf se rendit à Savenay pour obtenir un passeport. Il fut saisi (on le recherchait depuis longtemps) et fusillé.

 

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